Où s'en va le Gangsta Rap Montréalais en 2016-2017 ?

Le second album de Sadik, Réincarnation , est sorti le 25 mars 2016. Très peu de couvertures médiatiques ont été effectuées sur son premier opus, Liberté d’Expression, réalisé en janvier 2015. Pourtant, le rappeur du collectif 7th ave Boyz et Family 1rst signé avec la compagnie de production Explicit records possède un fort bagage artistique qui lui permettrait de fracasser l’industrie du hip-hop québécois. Ce nouvel opus, Réincarnation,  nous exhibe un Sadik complète innovateur. La dextérité verbale et la profondeur lyrique du emcee originaire du quartier St-Michel (Montréal) nous épatent continuellement tout au long des 12 pistes de cet album rap. Un projet qui selon mon analyse vient d’augmenter le standard professionnel  du rap de rue de Montréal; mais encore plus précisément des secteurs défavorisés, limitrophes et ethnoculturels du nord-est montréalais. Plusieurs pièces de Réincarnation sont incroyables, des exemples sont : En Solo, Ave Sadik, Rap 90’s en collaboration avec Dramatik (Muzion), J’entend Pleurer, Cri du Cœur ainsi que Reste toi-même en association avec Bullet Ghost, Fuccè & Vagalam.  Certes, Réincarnation est une œuvre épique de la carrière du rappeur st-michelois, Sadik !


Pourquoi Sadik ne suscite-t-il pas l’engouement de la presse médiatique québécoise? Est-ce que le message de Sadik est trop street et criminalisé pour des mass-média comme TVA, RDI, QMI, V Télé et tant d’autres?Y-a-t-il des possibilités, en 2016 ou d’ici 2020 de voir Ralph Émile ou d’autres rappeurs noirs de rue du Québec en entrevue à Tout le Monde en parle avec Guy Lepage ou en tête à tête avec Denis Levesque  ??  Manque-t-il quelque chose de corporatif au rap de rue de Sadik ? Un rap qui selon moi représente une forme de street knowledge, de sociocentrisme et de « gangsta rap à la conscience sociale ».
Fondamentalement, le  gangstérisme dans le hip-hop montréalais remonte aux années 1990.  Il y a plus de 25 ans, plusieurs groupes qui s’initiaient à ce style dans le rap au Québec étaient affiliés à des regroupements de rue comme C.D.P, Master B, Public Enemy, Kraze Briz  et autres. À cette épopée, les gangs de rue avaient pour mandat d’assurer une certaine protection au sein de leurs communautés confrontées à toutes sortes d’oppressions comme la stigmatisation sociale, la violence de groupes racistes, l’harcèlement socio-institutionnel résultant dans certains cas d’extorsions de groupuscules haineux comme les Skinheadz et d’autres groupes suprématistes du Québec des années 1980 et 1990. Ce combat des gangs de rues « noires » du Québec a été obstrué par des guerres intestines se trouvant à être le produit de l’infiltration d’agents corrompus du SPVM en outre. Souvenez-vous de l’affaire Palassio et Maschismo? Ces guerres intestines, entre gangs de rue haitiano-québécoises ont mené à un sentiment d’appartenance non-représentatif des gangs de rues montréalaises vers la moitié des années 1990 avec les subdivisions locales des Bloods et des Crips. À l’origine des gangs de rue états-uniennes se sont incrustées dans le schème urbain et conjoncturel de Montréal Qc. Malgré cette incrustation, le milieu hip-hop de rue ne fut pas totalement corrompu au courant des années 1990. Des groupes de hip-hop sectoriels comme KZ Kombination, District 67, RDPizeurs, Acropolys et autres rappaient les réalités de leurs quartiers respectifs mais tout en gardant un esprit d’ouverture et d’inclusion. Des projets symbolisant cet état d’esprit constructif dans le rap de rue des années 1990 sont : Montréalité, Nitro, Le Berceau de l’Amérique, Ça tappe trop pour les faux et tant d’autres.L’esprit conflictuel dans le rap de rue a commencé à paraître vers la moitié des années 2000. Les conflits ont été palpables dans la forte diffusion des mixtape effectués par les rappeurs street de Montréal durant cette période. Le Street DVD réalisé par le documentariste indépendant Genzo Denado en 2007 analyse grandement les tensions entre rappeurs des différents quartiers au cours des années 2000. Subséquemment, ces tensions ont transcendé dans les années 2010.
datrigg mixtape Mixtape du rappeur Da Trigg sorti en début 2016


Durant les années 1990 et 2000, les hip-hopeurs de rue du Québec prenaient le temps pour élaborer du matériel de consistance et surtout sans redondance. Ce qui se voyait dans les plumes d’illustres artistes comme : Le Connaisseur, King, 67 District, RDPizeurs, Eaux 2 Mély, Le Voyou, Basket Case, Les Morniers, Double Shots, Full Ekwip, 7th ave Boyz, 20 Deep, Miccalauréat ect. D’autre part, la scène « trap » de Montréal qui a été en émergence depuis 2011-2012 ne semble avoir une direction artistique bien ficelée. La sonorité des trappeurs comme JackBoy, Telus, Kay Bandz, Da Trigg et autres est surprenante. Or, la conjoncture dans laquelle la génération actuelle des rappeurs de rue  évolue laisse peu d’avenues corporatives. Les rappeurs de rue contemporains issus des quartiers défavorisés de Montréal sont fichés par les différents fonctionnaires qui gèrent les médias, les salles de spectacles, les subventions, les compagnies de gérances artistiques et les festivals au Québec.
Il est sûr que ces bailleurs de fonds n’offriront aucune plate-forme à ce genre d’artistes qu’ils associent de plein feu au milieu du crime organisé! Encore plus, ils se feront un plaisir de dénoncer plusieurs de ceux-ci aux autorités policières et juridiques. Il y a dix-huit ans, une étude du musicologue Alain Brunet et de la SODEC intitulée « La Chanson québécoise d’expression francophone : le paysage sonore en 1998 » exprimait déjà le désir du gouvernement québécois de boycotter le rap de rue revendicateur et ethnoculturel, en provenance des formations rap des quartiers du nord-est de Montréal.  La scène rap de rue des quartiers pluriethniques de Montréal est morte, non-rentable et censurée en 2016!


jackboy RLJ JackBoy  de Montréal-Nord et réalisateur des mixtape RLJ vol. 1&2

Entre les années 1990 et 2000, il y avait des micro-festivals effectués par des entrepreneurs et investisseurs tels le P.E.Y.O, Rap City  et même Hip-Hop 4 Ever qui voulaient réorganiser et perfectionner la scène du rap de rue de Montréal en une plate-forme corporative hip-hop pour le moyen et long terme. Ce genre d’initiatives n’est plus dans le paysage. En 2016, ça fait du bien d’entendre un excellent morceau comme Finmin den’w de Bullet Ghost feat Sadik et Moun Fou;  ainsi que des mash up sur des  beats  américains comme celui de Bobby Smurdah  qui a servi de tremplin  à Da Trigg et JackBoy . Grosso modo, il faut quand même se demander à quoi rime le rap de rue des quartiers du nord-est montréalais en cette moitié de la décennie 2010 ? Est-ce  un style de rap qui ne sert qu’à accumuler des visionnements sur YouTube et à envenimer  des conflits dans le milieu criminel de Montréal. Ce gangstérisme artistique n’est pas imposable à la fin de l’année fiscale mes amis !  À la veille de 2020, il est temps de remettre tout cela en question et constater qu’il y a un boycottage massif des hautes sphères médiatiques et de l’establishment artistique du Québec face à ce genre. Un genre qui est utilisé comme un bouc-émissaire pour amplifier le boycottage de la diffusion socio-artistique d’artistes et artisans issus de la pluriethnicité montréalaise et en provenance des quartiers précaires de Montréalais. Il est grand temps pour l’établissement d’un consortium socio-artistique qui restructura le Hip-hop de rue montréalais de la fin des années 2010, de manière lucrative et ce par un modèle de développement corporatif, économique et philanthropique. 

telus Telus et le mouvement Nord Sale



Le plus gros tube du rap street de Montréal  entre  2015 & 2016 : Bullet Ghost feat Sadik & Moun Fou  présentent  » Femin Den’w  »


Pour des informations complémentaires : Procurez-vous l’ouvrage Les Boss du Québec : R.A.P du Fleur de Lysée ( analyse socio-historique et sociologique du hip-hop dans la société québécoise) sur www.lesbossduquebec.com

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